Les fictions dramatiques de L’Ami des enfants entre traités d’éducation et expériences morales : une écriture théâtrale à destination plurielle
Résumé
Parmi les fictions morales diffusées à la fin du XVIIIe siècle en France, celles d’Arnaud Berquin sont reconnues pour leur qualité éducatrice comme en témoigne le prix d’utilité décerné par l’Académie française en 1784. Elles font aussi plus largement état de la circulation des textes d’éducation au sein de l’Europe puisqu’elles reprennent régulièrement de nombreux textes déjà parus, en allemand notamment, ainsi que l’ont souligné les recherches récentes telles que la thèse d’Anette Baudron en 2009, l’article d’Isabelle Nières-Chevrel en 2014 ou les travaux d’Alexa Cray en 2015 et de Valérie Leyh en 2019. L'article s'intéresse aux spécificités de ces fictions dramatiques qui s’adressent explicitement à plusieurs destinataires (enfants et adultes) et s’appuient sur plusieurs modes de réception complémentaires relevant du lecteur, de l’acteur et du spectateur. Afin de conduire, dans les limites de cette étude, une analyse précise des procédés déployés, quatre pièces particulièrement significatives ont été sélectionnées : L’École des marâtres , La Vanité punie , L’Éducation à la mode et Les Joueurs . D’une part, ces quatre petits drames en un acte sont tous inspirés de textes allemands , en l’occurrence L’École des marâtres de « Die gute Stiefmutter » de Salzmann, La Vanité punie de « Die bestrafte Eitelkeit ; ein kleines Schauspiel » de Campe, les deux derniers respectivement de « Das junge Modefrauenzimmer » et de « Die jungen Spieler » de Weisse. D’autre part, tous développent dans une sorte de mise en abyme le thème de l’éducation, qu’il s’agisse d’un contexte particulier – la famille recomposée dans L’École des marâtres et la différence entre l’éducation des filles et des garçons dans L’Éducation à la mode – ou de l’expérience éducative elle-même à travers la mise en scène d’une épreuve qui transforme le personnage principal dans La Vanité punie et Les Joueurs. Par conséquent, ces pièces s’apparentent tout autant à des leçons en actes pour les enfants qu’à des traités d’éducation pour les parents , conformément à l’intérêt que le siècle des Lumières accorde à cette question dans la transmission de valeurs propres à renforcer la communion entre les hommes dans une société en pleine mutation. L'article interroge les spécificités du genre dramatique, tel que le conçoit Berquin, dans la transmission de principes éducatifs, selon les multiples destinataires envisagés. En d’autres termes, en quoi le théâtre de Berquin offrirait-il une expérience d’éducation singulière ?